La nuit furibonde

Parti à la poursuite d’une menace inexistante, d’un rendez-vous caché par le temps fini, ravigoré de ses idées rassurantes mais noires, d’une musique infinie divisée par le néant.

Tels furent les mots qu’il eût lu, n’eût été de la plèbe indignée lui barrant l’avenir, le ramenant au passé sans histoire, toujours rassurant, mais si circonscrit. Baillant dans son coude, il s’en fût, traînant derrière lui une ribambelle de riens biens ficelés.

Au loin on le vit, rassuré par sa peine et son futur antérieur, ramasser des cailloux pour en faire un tirage, innommable présage de son retrait imminent. Sous cette apparence bohème malsaine, rien de plus que ce qu’on pouvait imaginer sans douleur, sans frémir sous le rire impitoyable du soleil.

Quant à nous, indignes spectateurs de cette mascarade inexplicable, de cet assemblage hétéroclite de dires abstraits, lorsque le temps vînt, la nuit furibonde se glissa maladroitement au-dessus de nos pieds, les gardant au chaud d’une couette magistrale.

Le triomphe du néant

Je suis là, dans la rue, affichant mes idées comme on placarde une porte, comme on condamne une maison où la peste frappe. Un gros X blanc sur l’asphalte d’où surgissent deux lignes jaunes comme la corde qui me pend sous ce lampadaire orange. Drôle d’endroit pour mourir, n’est-ce pas ? Ce cher feu vert / jaune / rouge-plus-longtemps ne fait que retarder, ralentir une société qui veut toujours avancer vers la lumière, d’où je me balance, d’ailleurs, affichant mes couleurs (plutôt blanc) devant la place publique. Au loin, mes yeux auraient pu voir les fluorescents du McDo d’un côté, et ceux du K-Mart avec le K rouge qui ne fonctionne qu’à moitié — image de mon enfance — en plus d’un phare intermittent annonçant à des bateaux inexistants des rochers, icebergs sous-jacents soutenant une civilisation pleine de poteaux d’où je puis voir le monde de plus haut. Deux mètres, environ.

Les yeux du dragon me fixent m’épient, je rentre dans l’ombre, c’est l’ennemi ! Un souffle fragile sur un silence planant ¹. Je vois les lignes jaunes doubles du centre, puis devenant intermittentes quelques dizaines de mètres après le poteau du lampadaire d’où pend la corde qui passe autour de mon cou, retenant mes membres inférieurs à quelques mètres du sol.

Des bateaux passent sans m’adresser. Des routiers accélèrent en me voyant, d’autres, avec stupeur, ralentissent quelque peu puis passent, mon image étant sortie de leur tête depuis quelques secondes, une autre idée stupide l’ayant remplacée. C’est une belle ville, mais je finis par comprendre que finalement mon geste n’aura servi à rien. Personne ne fait attention à moi. J’ai quand même fait mon boulot. Je suis équitable. C’est la même chose pour tout le monde. Il y en a qui abusent, mais c’est pas mon job de les en empêcher. Je ne fais que signaler, moi.

Toujours pendu à cette corde, une longue vie défile devant mes yeux. Commencé ma vie à quelque part au nord de Sept-Îles, j’ai, encore jeune, été muté dans une métallurgie quelconque où — soit dit en passant — j’ai eu mon premier et seul tatouage. J’ai continué ma vie dans les entrepôts du Ministère des transports pour finalement terminer ma vie pendu ici, dans cette belle ville, où je meurs tranquillement, attaqué par les rigueurs temporelles, et où je me rends compte que ma vie a été assez vaine.

Le seul travail ayant un but que j’aie pu faire, c’est celui que je fais depuis que je suis pendu ici. Même si peu le remarquent, c’est mon tatouage qui passe son message. Ceux qui daigneront poser les yeux sur moi y verront, noir sur blanc, bien apparent : « 50 km/h max. ».

Je suis pendu sur un lampadaire de cette belle ville.

(¹ Noir Silence – La mort est au rendez-vous)

Arrêter le temps

Affairé à écrire, je ne me rendais pas compte que le temps passait. Et il passait vachement vite. Drôle de contraste, alors que quand on lit, le temps paraît s’arrêter.
Rien ne se perd, rien ne se crée, dit-on. Le temps qui paraît s’arrêter quand on lit, c’est l’auteur qui le fournit quand il écrit. Il ne faudrait pas se retrouver avec un manque de temps à la fin, et un surplus de temps serait chose inconcevable. Voilà aussi pourquoi les vieux livres semblent être plus longs à lire. Le temps qui leur est alloué est expiré, il faut qu’ils utilisent leur propre temps.

Je m’emploie à écrire, à vous permettre d’arrêter le temps. Cela semble si romantique, au fond. Un temps qui nous semble si banal quand on n’a rien à faire, si précieux quand on est occupé, temps doux, temps fou, d’une importance incomparable ou inavouée, à tous les âges de la vie. Un temps qui s’arrête quand on aime, quand on dort, quand on reçoit un coup, quand on meurt…et quand on lit.

Je vais parfois à la bibliothèque et je tombe sur des livres sur lesquels un auteur a passé dix ans de sa vie… Dix ans, c’est beaucoup de temps. Ça fait bien des secondes à distribuer aux fiers lecteurs, amis incontestés des mots.
Quel beau métier, tout de même. S’employer à créer les moyens d’arrêter le temps… temporairement, si j’ose m’exprimer ainsi !

J’entends le tic-tac de mon horloge numérique.

Le vent du large

Encore demain aura-t-il été lu par le commun des mortels encore vivants. Mais ceux-ci seront-ils satisfaits des idées transmises par cet essai qui plane dans le vent du large? Il voit au loin cet oiseau qui plane, toujours dans le vent du large et qui, tout à coup, plonge pour remonter ensuite… Ça lui fait toujours penser à sa vie, des hauts puis des plongeons qui remontent, parfois plus haut, parfois plus bas, mais il sait bien que plus la vie est haute, plus le choc avec l’eau est difficile à supporter. Il sait aussi bien que nous de 1+1=2, mais il sait aussi que dans la vie ce n’est pas toujours vrai. En fait, dans la vie, 1+1 font 1 dans les beaux cas, mais il existe plein d’autres possibilités moins réjouissantes… Dommage, ils auraient pu s’entendre.

Il revient à son observation du large, avec le soleil qui se couche… Celui-ci, il sait bien qu’il reviendra demain, mais si on prend la journée séparément des autres, il en voit toujours le parallèle avec la vie. Le matin, le soir, la naissance et la mort, les deux moments où le soleil fait éclater sa beauté, sa valeur… Le reste du temps, il est banal… Il est clair qu’il est pessimiste sur ce qu’aura donné sa vie. Mais il est optimiste quant à ce qu’il accomplira ou conquerra sur son déclin… C’est paradoxal.

A-t-il raison de voir sa vie comme le soleil? D’ailleurs, le soleil n’est-il vraiment intéressant que sur son lever et son coucher? Il devrait faire bronzer sa vie… Qu’aura-t-il accompli lorsque son essai aura été lu? Il ne le sait pas, mais pourtant il sait que ce qu’il aura accompli dans le coeur et l’esprit de ses égaux et de son ego ne dépendra que de ses actions passées et de ses pensées d’action…

Quand l’oiseau du large plonge, il remonte toujours, souvent avec quelque chose dans le bec. Il y voit que ses expériences ratées qui l’auront fait plonger lui auront, bien des fois, apporté quelque chose pour nourrir son esprit et son âme.

L’oiseau plonge. Des remous. L’oiseau ne remonte pas. Une tache plus foncée s’étend sur l’océan qu’une noire nageoire parcourt. L’oiseau s’est soumis à la première loi de la nature.

Sur la plage, Il est étendu. Le soleil se couche à l’horizon. Le cœur et l’esprit du commun des mortels encore vivants ont beaucoup appris de cet essai dans le vent du large.

Dans le ciel, les étoiles brillent. Dans le ciel, une lune ronde se lève.