Le triomphe du néant

Je suis là, dans la rue, affichant mes idées comme on placarde une porte, comme on condamne une maison où la peste frappe. Un gros X blanc sur l’asphalte d’où surgissent deux lignes jaunes comme la corde qui me pend sous ce lampadaire orange. Drôle d’endroit pour mourir, n’est-ce pas ? Ce cher feu vert / jaune / rouge-plus-longtemps ne fait que retarder, ralentir une société qui veut toujours avancer vers la lumière, d’où je me balance, d’ailleurs, affichant mes couleurs (plutôt blanc) devant la place publique. Au loin, mes yeux auraient pu voir les fluorescents du McDo d’un côté, et ceux du K-Mart avec le K rouge qui ne fonctionne qu’à moitié — image de mon enfance — en plus d’un phare intermittent annonçant à des bateaux inexistants des rochers, icebergs sous-jacents soutenant une civilisation pleine de poteaux d’où je puis voir le monde de plus haut. Deux mètres, environ.

Les yeux du dragon me fixent m’épient, je rentre dans l’ombre, c’est l’ennemi ! Un souffle fragile sur un silence planant ¹. Je vois les lignes jaunes doubles du centre, puis devenant intermittentes quelques dizaines de mètres après le poteau du lampadaire d’où pend la corde qui passe autour de mon cou, retenant mes membres inférieurs à quelques mètres du sol.

Des bateaux passent sans m’adresser. Des routiers accélèrent en me voyant, d’autres, avec stupeur, ralentissent quelque peu puis passent, mon image étant sortie de leur tête depuis quelques secondes, une autre idée stupide l’ayant remplacée. C’est une belle ville, mais je finis par comprendre que finalement mon geste n’aura servi à rien. Personne ne fait attention à moi. J’ai quand même fait mon boulot. Je suis équitable. C’est la même chose pour tout le monde. Il y en a qui abusent, mais c’est pas mon job de les en empêcher. Je ne fais que signaler, moi.

Toujours pendu à cette corde, une longue vie défile devant mes yeux. Commencé ma vie à quelque part au nord de Sept-Îles, j’ai, encore jeune, été muté dans une métallurgie quelconque où — soit dit en passant — j’ai eu mon premier et seul tatouage. J’ai continué ma vie dans les entrepôts du Ministère des transports pour finalement terminer ma vie pendu ici, dans cette belle ville, où je meurs tranquillement, attaqué par les rigueurs temporelles, et où je me rends compte que ma vie a été assez vaine.

Le seul travail ayant un but que j’aie pu faire, c’est celui que je fais depuis que je suis pendu ici. Même si peu le remarquent, c’est mon tatouage qui passe son message. Ceux qui daigneront poser les yeux sur moi y verront, noir sur blanc, bien apparent : « 50 km/h max. ».

Je suis pendu sur un lampadaire de cette belle ville.

(¹ Noir Silence – La mort est au rendez-vous)

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